Les partis politiques et le théâtre en Grèce : aspects socioéconomiques et artistiques

 durant les decennies 1890-2020

Stamatis Gargalianos

Universite de la Macedoine de l’ Ouest

Resumé

Dans cet article nous faisons un court aperçu historique des relations Etat-théâtre, en Grece, durant les années 1990-2020. Nous examinons le rôle des hommes politiques grecs ainsi que les interventions des étrangers dans la vie sociale de ce pays pendant ces décennies. Nous faisons un examen profond des problèmes internes qui ont provoqué une bipôlarisation extrème, telle qui n’a pas laissé les grecs de vivre un épanouissement économique et artistique. Dans ce contexte nous analysons les moyens de l’intervention de l’Etat dans les affaires théâtrales, comme les diverses mesures contre et pour la culture et le théâtre. Il est certain que les divers ministères grecs compétents ont joué un rôle prépodérant dans le dévelopement du pays, mais nous examinons aussi leur incompètence d’offrir un certain élan au domaine théâtrale. Parmi eux le ministère de l’économie nationale, de la culture, de la presidence su conseil, aussi celui du travail. Ils ont créé certains fondations, comme l’Organisme Grec du Tourisme (O.G.T – E.O.T.), qui a aidé considérablement le théâtre. On constate que un mechanisme important ont été les diverses fondations non étatiques, comme celle de la Corporation des Acteurs Grecs (C.A.G. – S.E.I.) et la Fédération Panhéllenique du Spectacle et de l’Auditoire (F.P.S.A – P.O.TH.A), le Foyer Ouvrier (Ergatiki Estia), la Caisse du Travail des Acteurs (C.T.A – T.A.I), qui souvent s’opposaient aux mesures de l’ Etat ou bien éxigaient actions en faveur de l’ art, telles que les hommes politiques ne veulent ou peuvent pas suivre, à cause de problèmes financières ou idéologiques.

Mots clefs : Partis politiques, Théâtre, Grèce, Socio-économie, Ministères, Interventions etrangères, Diplomatie

Introduction

Les partis politiques en Grèce ont joué un role considerable dans la vie artistique et sociale de ce pays. Quiconque essaie d’analyser les mécanismes de l’organisation et du financement du spectacle vivant dans un pays, doit prendre en compte non seulement des paramètres économiques mais aussi ceux politiques, sociaux et parfois géographiques.

  Dans le cas de la Grèce et pour comprendre le comportement général de l’Etat vis-à-vis du spectacle vivant, il est nécessaire de voir toute la situation politique depuis 1967. Cette année marque le début de changements importants qui, d’une manière extrêmement périodique -tous les 7 (sept) ans- ont joué un rôle très décisif dans la vie culturelle du pays. Ainsi, à partir de 1967 deux partis politiques seulement ont alterné au pouvoir : la Nouvelle Démocratie (droite) (1974-198I, 1989-1993, 2004-2009, 2019-21) et le PASSOK (socialiste) (1981-1989), avec un intervalle de l’extrême-droite qui, elle aussi, a couvert une septennale (1967-1974). Pendant ces changements, si tant l’existence que le développement de certains domaines culturels comme le théâtre, ont dépendu de ces deux forces politiques. Les arts en Grèce ont été mieux favorisés par la gauche au pouvoir sans toutefois que la différence entre les actions culturelles -et théâtrales- des deux partis adverses ait été, quantativement, considérable.

Le rôle des hommes politiques

Le mode de financement du théâtre en Grèce n’arrive pas à des fins extrêmes. Personne ne peut affirmer qu’une seule «couleur» politique ait soutenu et aidé le théâtre au cours des dernières décennies de ce siècle, alors qu’il a été ignoré, méprisé et poursuivi par les autres partis. Cet art archaïque rencontre depuis sa naissance en Grèce des moments favorables et d’autres non-favorables, dûs non seulement à certains partis, mais souvent à quelques hommes, surtout les dirigeants des partis. Dans l’histoire politique de la Grèce, de longues périodes pendant lesquelles le théâtre, grâce à un seul parti politique, a connu un certain niveau de développement -tant au niveau économique qu’artistique- n’ont jamais existé. Les raisons en sont les suivantes :

a – l’alternance, relativement fréquente des partis politiques au pouvoir, et

b – le fait que le théâtre est souvent favorisé par certains hommes au pouvoir. De cette manière l’intérêt personnel d’un homme politique pour le théâtre ne signifie pas partage et communauté d’intérêt du parti auquel il appartient ou qu’il dirige.

    D’un autre côté, en suivant alternativement le processus historique de la Grèce depuis la révolution contre les turcs, force est de constater l’existence de telles actions. Autrement dit, pour une même période historique donnée* certains hommes politiques, de différente provenance politique chacun, a développé une activité en faveur du théâtre -que ce soit au parlement ou dans d’autres lieux de rassemblement. Il faut souligner que ceci se faisait toujours en dépit des nombreux obstacles émanant d’autres personnalités ou groupements visant à entraver le processus.

Un court aperçu historique des relations Etat-théâtre

La création de la première constitution grecque date du 29 mars 1823 (Constitution d’Astros du 29-03-1823, Section B’, al. 8., in:  Voudouris, o.p.: 22), quelques années après la révolution contre les turcs. Faite à Astros, une de ses caractéristiques réside dans les premières définitions législatives -quoique primaires- de l’art théâtral. A cette fin, le théâtre n’étant pas considéré comme un art de première importance à l’époque, deux autres types d’expression publique, le cinéma (quelques années plus tard) et la presse ont été inclus dans les textes constitutionnels, sous le titre général “expression” (Saripolos: Traité de droit constitutionnel, Aggelidou, 1875, t. D’, p. 354, in Voudouris, op. cit. p. 22).

   Autre caractéristique de cette Constitution est la liberté relative octroyée à chaque citoyen de pouvoir utiliser* les moyens de communication publique pour s’exprimer. Malheureusement l’incapacité de certains juristes** à suivre l’actualité et les vrais besoins du peuple, ont amené à certaines contradictions dans les mêmes institutions.

*que nous pouvons choisir à notre guise, après l’avoir débarassée de certaines autres caractéristiques et contraintes, sociales ou économiques.

** à des fins lucratives ou non

Ainsi, par exem­ple les artistes du théâtre mais également les journalistes se trouvaient souvent dans un fort embarras face au chemin qu’ils devaient choisir pour leurs contacts avec le public. Tout aussi fréquents étaient les cas de contradiction entre la volonté des hommes au pouvoir et les lois constituées par des juristes de renom du pays. Ainsi, en matière de presse, l’instauration d’un contrôle préventif pour tout essai journalistique, proposée par le premier gouverneur J. Capodistrias, allait à l’encontre d’un article de la Constitution de 1823 qui laissait une large liberté à de telles initiatives  (Zilemenos, L.G.D.J.: 1970: 18-23).

     Une autre forme de contrôle étatique provenait des certaines lois, dites “protectrices” de l’expression du journalisme, telles l’article 10 de la Constitution du 1844, qui affirmait que “chacun peut divulger ses pensées oralement, par écrit et au moyen de la presse, en observant les lois de l’Etat, la presse est libre et la censure est interdite…”. Dans des périodes troublées, telles celles de la Constitution de 1864 et de 1911, le champ d’activité de la presse, en raison de ces lois protectrices, s’est élargi puisque celles-ci lui accordaient le droit de refuser toute forme de censure, émanant de la police ou d’autres organes in­vestis d’une autorité (Zilemenos, o.p.: 27). D’un autre côté, puisque l’art théâtral de cette époque ne faisait que ses premiers pas et efforts à se reconnaître institutionnellement et publiquement, les juristes et les hommes politiques ne prenaient pas la peine de mentionner les représentations dramatiques dans les décrets généraux qu’ils édictaient. Néanmoins, par «liberté d’expression», ils sous-entendaient aussi la liberté de l’art théâtral qui, ainsi, jouissait de certains privilèges de la presse  (Sideris, s.d.: 119). Les mêmes règles et ordonnances relatives au théâtre peuvent être trouvées dans des arrêts postérieurs comme celui de 1866 (No 48/26 382) de la Cour d’Appel d’Athènes et dans un autre de la Cour de Cassation (No 191 de 1867).

Les interventions des étrangers

Malheureusement contre les tentatives étatiques de censure de plus en plus graves, les hommes de théâtre, peu nombreux et pas du tout syndiqués, n’ont pu protester. Par conséquent, toute forme de censure dans leurs établissements théâtraux est acceptée, les rendant encore plus faibles et incapables de réactions correspondantes, lorsque certains types de censure sont relatifs aux textes par exemple (Ekdotiki Athinon, o.p.: 58).

  En effet, bien souvent, les textes sont susceptibles d’exercer une influence non seulement sur les moeurs publiques, mais aussi sur les actions des partis politiques de l’époque ainsi que sur les rapports de  l’Etat avec d’autres pays. A la faible fréquentation du théâtre par les citoyens ou même les hommes politiques grecs correspondait l’assiduité des étrangers vivant en Grèce, notamment des diplomates, car ce type d’habitude avait été acquis dans leur pays d’origine. Bien évidemment, ces mêmes diplomates trouvaient maintes occasions de protester contre les propos tenus sur scène. Certains de ces textes ont donné naissance à un certain type de spectacles, typiquement grecs, qui existent encore aujourd’hui et qui s’appel­lent «revues» (epithéorissi). Leurs auteurs n’hésitaient pas à écrire et s’ingérer dans les affaires politiques d’autres pays, ce qui était souvent considéré comme impoli, parfois même scandaleux, provoquant de violents réactions des étrangers qui y assistaient et se sentaient concernés (Sideris, r. Theatro, No 7 – janv-fev. 1963, p. 28-36).

   Cette situation, toute à la fois étrange et dangereuse -dans la mesure où la Grèce n’a jamais pu réellement échapper aux diverses pressions de nations tierces désireuses d’exercer une influence sur les affaires politiques grecques- est illustrée par trois exemples de pièces ou de troupes de théâtre : a. – La pièce “Rigas Féreos” à Athènes en 184O, a provoqué la protestation de l’ambassadeur d’Autriche, en tant qu’elle diffamait son pays, b. – Quelques années plus tard, en 1853, le mélodrame “Velissarios” a été interdit car les autorités -grecques correspondantes ont reçu des protestations d’un pays voisin, la Turquie qui, à travers son ambassadeur s’est déclarée ouvertement contre le contenu de ce spectacle qui contenait des sous-entendus contre les turcs, c. – Les bavarois aussi, en général se sont sentis concernés et offensés par une représentation théâtrale, écrite par l’auteur dramatique grec Orfanidis en 1843, qui a du être exilé, en conséquence, à Nauplie (Laskaris, o.p.: 242).

Les problèmes internes : une bipôlarisation extrème

Au début du XXe siècle, pour la première fois dans son histoire contemporaine, la Grèce montre le visage de son peuple déchiré en deux par une bipolarisation de la vie politique, due à deux ten­dances ou plus exactement à deux hommes assez importants pour la Grèce de cette époque :  Vénizelos et le roi  (Sideris, o.p.: 29).  Au même moment, dans le domaine du théâtre, l’apparition d’un nouveau genre théâtral, mentionné ci-dessus, la revue, a pour caractéristique première la satire de la vie politique. Malheureusement, la liaison de ces deux phénomènes -vie politique mouvementée et nouveau type théâtral- n’ont pu aller de pair. Les autorités grecques ont rapidement procédé à une censure rigoureuse des textes de revues de l’époque, fait qui a provoqué une certaine décadence de la valeur de l’art théâtral. Les pièces désormais écrites avaient un niveau de qualité peu élevé (Ladogianni-Tzoufi, o.p.: 140).

   En même temps, à la profonde déchirure de la nation, appelée par les journalistes “schisme national”, correspondait également une déchirure dans le théâtre, se manifestant par sa politisation sans pouvoir toute­fois librement l’exprimer. Tout aussi responsables sont les spectateurs grecs -peuple impulsif et parfois même violent dans ses réactions- qui agissaient violemment au cours de ces représentations (revues), c’est-à-dire dans un genre théâtral qui à son tour “exigeait” la forte participation du public. Ils se manifestent de toute leur force, en déclarant ouvertement et massivement, dans de lieux théâtraux, leurs préférences pour les deux pôles de la vie politique : le royalisme et le vénizélisme, ce qui provoque par conséquent le réaction violente de la police (Sideris, o.p.: 35).

    Ici se trouvent les premières traces d’un type de subventionnement indirect, qui pourrait être considéré comme matrice du type contemporain : chaque actrice et sa compagnie soutient et est soutenue, surtout financière­ment par ces deux troupes politiques et leur public fait de même. Il y a ainsi une tendance à la bipôlarisation, qui finalement nuit au théâtre par la baisse de la qualité des pièces représentées et des spectacles joués, aussi dans la mesure où les gens considè­rent cet art comme un moyen de manifester leurs idéologies politiques (Gargalianos, 1994 : 122). La police, en appliquant les ordres, obéit aux autorités qui d’une façon très curieuse, sont celles mêmes qui engendrent les réactions violentes du public et qui, par la suite, les calomnient par le biais de la police. Les raisons peuvent sans doute se trouver dans la volonté des autorités publiques d’orienter la force du public vers des intérêts autres que les problè­mes cruciaux auxquels fait face la nation d’alors, à savoir l’insécurité et l’instabilité financière (Ekdotiki Athinon, o.p.: 59).

    Parallèlement, les ingérences étrangères n’ont cessé de jouer un rôle non négligeable dans la situation générale du pays, en aggravant la somme des problèmes (Laskaris, o.p.: 258-260).

    L’activité des allemands pendant la deuxième guerre mondiale en est un exemple typique: l’interdiction de bon nombre de pièces, dont le contenu avait provoqué la réa­ction des nazis, venus s’installer à Athènes. Ces pièces portaient comme titre les noms de quelques héros grecs de l’histoire relativement récente, comme “G. Kastriotis”, “Timoleon”, “C. Paléologos” ou plus ancienne encore, “Vroutos” (Laskaris, o.p.: 258-260).

  Néanmoins, il est étonnant de remarquer que toute tentative culturelle* de la part de l’Etat a tou­jours été soutenue par une force politique totalitaire, telle la dictature de l’extrême droite. Ainsi, à deux périodes distinctes en 1939 et en 1971 deux dictatures, celle de I. Metaxas et celle de G. Papadopoulos ont essayé de créer un Ministère de la Culture compétent. La première tentative fut proposée par le secrétaire de la presse et de l’information Nikoloudis, au dictateur I. Metaxas qui finalement a refusé, aux motifs que “la culture n’est pas l’oeuvre d’un organisme mais d’un peuple entier” (Ekdotiki Athinon, o.p.: 74, Archives de I. Metaxas, Lettre a Nikoloudis, du 24-08-39).

  L’autre type de dictature celui de la “civilisation néo-chrétienne” en 1971, a finalement donné une forte impulsion en cette matière par la création du premier ministère de la culture.

Les moyens de l’intervention de l’Etat dans les affaires théâtrales

La complexité des événements historiques préala­blement cités, est un obstacle à une recherche sur le phénomène de l’interaction “théâtre-politique” en Grèce. Tout classement est risqué et difficile à soutenir pour des périodes historiques comme celles de la Grèce. Un des moyens pour pércévoir les lignes directrices de l’inter­vention étatique est la totalité de certaines mesures prises tout au long de la période examinée (1821-1990). Ces mesures peuvent être classées selon qu’elles ont privilégié l’art théâtral ou, au contraire ont tenté de restreindre sa force.

A’. Mesures contre la culture et le théâtre.

1. La censure. Certains règlements officiels des divers gouvernements grecs, surtout ceux qui expriment une sorte de censure, sont ceux qui ont laissé des traces intenses dans ce rapport Etat-théâtre, tout au long des 180 années depuis l’institution du nouvel état grec. Il est facile de comprendre qu’il s’agit de décisions qui diminuent l’art théâtral, dans la mesure où elles prennent le caractère d’actions autoritaires visant à cloisonner et à étouffer toute initiative théâtrale. Ce sont néanmoins des indices à partir desquels peut être construite toute une analyse sur les rapports Etat-théâtre.

2. La taxation et l’examen des conditions de représentation. A coté de la méthode de la censure, s’ajoutent en complément, deux autres systèmes de contrôle qui peuvent également servir de points de départ important à la première : a. – soumission de tout spectacle de théâtre depuis 1869 à un examen continu et détaillé des conditions -de sécurité des spectateurs- de la salle où se joue le spectacle (Saripolos, o.p.: 358).

 b. – Chaque tentative de représentation théâtrale, même si elle ne réussit pas à attirer un grand nombre de spec­tateurs, est soumise à une taxation sur les billets, qui à notre avis, n’est autre que le résultat d’une réfle­xion assez sophistiquée de la part de l’Etat, ayant pour but le contrôle indirect de chaque effort théâtral (Ekdotiki Athinon, o.p.: 389).

    La question ici consiste à s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’Etat veut toujours soumettre les représentations théâtrales à deux types de contrôle, l’un direct -la censure des textes- l’autre indirect  -l’examen continu des salaires et la taxation des billets. Il faut d’abord préciser que derrière toute action de l’Etat (notamment s’il ne s’agit pas d’une manœuvre gouvernementale destinée à attirer des fonds pour son propre financement**) se cachent des raisons particulières, ne relevant pas de l’ordre économique. L’Etat, par sa tentative de contrôle non seulement du produit financier mais aussi artistique, entend exercer son influence sur le public. Chaque type de pouvoir a toujours compris que la représen­tation théâtrale a l’aptitude spécifique d’influencer idéologiquement le public, non seulement au niveau de la qualité artistique de l’oeuvre mais aussi par rapport aux divers messages qu’il peut véhiculer. Ces messages sont toujours transmis de façon souterraine au public, surtout en période de régimes politiques totalitaires (Sideris, o.p.: 38).

  Si l’Etat essayait de soumettre directement (par des arrestations, interdictions etc.) les activités théâtrales à ses ordres, il est certain que cela entraînerait des protestations de la part du grand public. Ce public pourrait s’élever ainsi à des réclamations massives pour le droit d’assister à sa seule distraction originale d’importance majeure.

3. La notification des pièces. Dans les décrets de 1866 et de 1867, il est facile de distinguer un autre type d’intervention étatique : les autorités comme celle de la police ou même encore du ministère de l’intérieur peuvent exiger, avant chaque représentation dramatique, la notification des pièces ainsi que les noms des acteurs. Ces mêmes règlements, dans un esprit assez clair et explicite, déclarent également que les autorités correspondantes peuvent exiger l’obtention d’une autorisation de repré­sentation, par une commission spéciale du théâtre  (v. Theatro (r.) – no 43 – janv-fevr. 1975, p. 42-43).

 4. La police. La police aussi a joué un rôle décisif dans les relations Etat-théâtre-public. A trois reprises au début du XIXe siècle, elle édicte trois régléments différents par lesquels elle peut intervenir entre l’Etat et la situation souvent dangereuse dans les salles de théâtre.

   Ainsi précise-t-elle par une définition extrême que l’usage de phrases ou de mots équivoques ou allusifs contraires aux bonnes mœurs ou exaltant par tout moyen les spectateurs est interdit pendant les représentations théâtrales (Gargalianos, o.p.: 140). De même en allait-il ainsi de la satire d’hommes politiques grecs ou étrangers, de l’église ou autres fondations. Si une représentation ne parvenait pas à contrôler les réactions du public, elle pouvait faire l’objet d’une interruption et d’une traduction des responsables devant le tribunal (Sideris, o.p.: 32).

 5. L’intelligentsia grecque (Intelligentsia grecque est sous-entendue ici comme le corpus des hommes universitaires, ainsi que celui des littéraires, juristes, philosophes etc.). Les rapports Etat-théâtre en Grèce ne se dévoilent pas seulement à travers les réactions des partis politiques mais également de certains hommes de l’intelligentsia grecque, qui sont arrivés à travailler pour les intérêts de l’Etat. Ceci est très important car elle démontre assez bien que le pouvoir, partout dans le monde, trouve de nouveaux types de contrôle de l’art théâtral dans son effort d’être toujours, même indirectement, présent dans ce type de relation entre un événement théâtral et le public qui y assiste.

 Au début du XXe siècle, certains hommes importants dans la vie politique de ce pays, accep­tent de faire partie de la Commission du théâtre. En faisant surtout l’éloge de la censure que certains journaux quotidiens -pour des raisons commerciales- corroborent, ils ne font qu’exacerber le climat de la situation générale.

B’. Mesures pour la culture et le théâtre.

1. Le contrôle parlementaire. Un autre type de rapport entre l’Etat et le théâtre est celui qui s’instaure au Parlement National même, à savoir par le jeu des questions adressées, par les députés de divers partis politiques, aux ministres de la culture. L’intérêt général des hommes politiques se crée grâce au concours des citoyens, même les plus simples. En effet, un citoyen, à travers la voix parlementaire d’un ou plusieurs députés, peut dans l’exercice de ses droits civils, poser des questions permettant de résoudre non seulement des problèmes collectifs mais aussi personnels.

   Néanmoins, un bref examen des questions qui ont été posées au parlement, en 1980, au ministre -ou bien à ses divers représentants- de la culture, démontre que malheureusement le théâtre n’occupe pas une place essentielle dans l’intérêt général pour la culture: 65 % environ des questions au ministre de la culture se réfèrent au patrimoine culturel et 10 % environ seulement au théâtre, dont 17 (dix-sept) questions aux théâtres nationaux, 15 (quinze) aux théâtres des différents régions, 9 (neuf) aux théâtres antiques et 4 (quatre) aux subventions des théâtres privés (Panagiotou, Le Ministère de la Culture au Parlement 1974-1961, Chroniko ’81, p.p. 210-212).

 2. L’intervention étrangère. Au-delà du cadre national, les rapports Εtat-théâtre subissent également l’ingérence des organismes internationaux, de façon directe ou indirecte. Le théâtre ne peut être, dans des cas pareils, touché directement. Il est néanmoins concerné lorsqu’un accord bipartite est signé, accord se référant à la culture dans son ensemble, comme c’est le cas de l’élaboration du “Projet de développement modèle”, signé avec l’UNESCO.

   Cet accord a eu de fortes références culturelles et supposait une action à long terme, c’est-à-dire du 1973 à 1987. En ce qui concerne le théâtre, ce projet envisageait la création de nouveaux espaces, la rénovation de la formation dramatique en particulier  -par la création d’une école nationale supérieure-  le transfert de la responsabilité des programmes de radiotélévision le concernant au ministère de la culture, la promotion du drame antique (UNESCO, Projet de développement culturel modèle, 1973-1987, Paris: UNESCO, d.n.c.)

 3. Les œuvres dramatiques. Les relations Etat-théâtre ne concernent pas toujours la totalité de cet art. Certains éléments de telles relations existent dans certains décrets officiels ayant un rapport avec une partie seulement de la profession. Ainsi assez tôt, c’est-à-dire en 1909, apparaît l’intérêt de l’Etat pour les droits des œuvres dramatiques, en posant le principe de l’interprétation stricte de leurs contrats

d’exploitation, en prévoyant que le contrat d’édition ne vaut pas cession du droit de représentation de l’œuvre et le contrat de représentation ne vaut pas cession du droit d’édition de l’œuvre (Saripolos, o.p.: 360).

4. Les aides financières de création. Un autre moyen d’intervention étatique dans les affaires théâtrales a été l’octroi de certaines aides, soit en faveur de certaines troupes de théâtre, soit en faveur de certaines pièces dramatiques, du fait de l’insuffisance des billets des représentations théâtrales, les taxes sont, par conséquent très minimes et ne peuvent en rien contribuer au financement de l’économie nationale.

  Ceci est devenu progressivement une forte tradition, surtout dans ce domaine où les aides financières directes pour le théâtre n’étaient pas tellement importantes; les gens de théâtre y voyaient une source d’argent désormais indispensable, argent qui, malheureusement, n’était pas toujours abondant.

4a. Les diverses commissions. Les aides qui avaient comme but la sélection d’œuvres dramatiques, soumises au concours annuel de l’Etat, ont été distribuées par une commission établie en 1963 (décret législatif 449/63 J.O. A’ 130 -art. 6) et nommée par le ministre responsable.

   En 1974 et par le décret 354/74 (J.O. A’ 139) la Commission a été élargie à 7 (sept) membres -les deux membres supplémentaires provenaient des mêmes professions, plus un économiste, spécialiste des questions théâtrales. Trois ans plus tard et par le décret 941 de 1977 (art. 102), cette Commission a été rétrécie. Cette fois-ci, on y incluait un critique, un acteur, un metteur en scène, un écrivain et le nouveau membre était un fonctionnaire. En 1982 le gouvernement socialiste du PASSOK a voulu diviser la Commission en deux et ce schisme a donné une commission chargée du prix pour les pièces dramatiques et une deuxième, chargée des pièces écrites par des jeunes auteurs dramatiques (Gargalianos, o.p. : 78). Elles avaient toutes deux les mêmes types de membres, c’est-à-dire un critique, un metteur en scène, un acteur, un écrivain dramatique, ainsi qu’un spécialiste des affaires théâtrales. Ce même gouvernement a voulu aider le fonctionnement général du système théâtral en Grèce, en instituant une commission consultative, comme celle de 1965, qui avait pour but de remplacer les divers groupes de travail sur les questions théâtrales, ainsi que d’aider et promouvoir les créations des diverses troupes de théâtre qui voulaient jouer à l’étranger.

5. Une des fondations grecques de théâtre : la Corporation des Acteurs Grecs (Σ.Ε.Η.-S.E.I.). Notons aussi quel­ques événements théâtraux qui, quoiqu’ils n’y aient de rapport direct avec les phénomènes plus amplement développés ci-dessus, établissent néanmoins de nouveaux statuts dans la vie sociale du pays et ont le pouvoir de changer, d’une certaine manière le sort de ces relations. Un de ces événements d’importance majeure est la fondation de la Corporation des Acteurs Grecs en 1918. Quoique des tentatives de syndicalisme -d’ordre quantitatif surtout- au sein de la Corporation des acteurs, aient commencé depuis 1863 (Sideris, o.p.: 160),  divers problèmes ont empêché tout progrès dans les relations Etat-théâtre. Jusqu’à l’aube du ΧΧe siècle les acteurs grecs n’avaient pas la possibilité   -et cela a été dû à leur nombre restreint et la méconnaissance de leurs droits- de protester contre certaines injustices qui venaient de la part de l’Etat. Néanmoins cette corporation est aujourd’hui une des plus fortes dans le domaine des arts du spectacle en Grèce et par ses décisions, peut favoriser le destin, non seulement d’une production mais surtout celui d’un établissement théâtral.

6.  Les divers ministères compétents. Dans l’histoire politique contemporaine de la Grèce, le fonctionnement et la gestion de l’art -et plus spécifiquement du théâtre- ne passaient que par certains ministères, ceux de l’Education Nationale, de Travail, de l’Economie Nationale etc.

6a. Le Ministère de l’Education Nationale. Il a été créé en 1833, douze ans seulement après la révolution contre les turcs et a voulu, peu après, mettre en œuvre un programme visant à l’enseignement artistique dans les écoles grecques, primaires et secondaires (To Vima – 19/10/84).  Cet enseignement artistique comportait seulement la musique, la danse et les arts plastiques et, en outre était assez médiocre à cause d’un manque énorme de professeurs compétents. Depuis le milieu du XIXe siècle il n’y a que très peu d’exemples de professeurs qui, à leur seule et propre initiative, enseignaient le théâtre, au risque d’aller à l’encontre des indications officielles des directeurs du ministère ou des écoles (C.C.E., Le Secteur Culturel en Grèce, o.p.: 162).

  Il en va de même pour les diverses tentatives des élèves qui veulent monter des pièces de théâtre dans leurs écoles : ils doivent avoir l’autorisation d’ une commission de contrôle des spectacles scolaires, qui dépend du ministère de l’Education  (Voudouris, o.p.: 337).

    En 1937 se crée, auprès du ministère de l’Education Nationale une direction destinée à englober et à orienter trois aspects de la culture en Grèce, les lettres, le théâtre et les beaux-arts (r. Theatro, No 63/64, p. 20).

    Cette même année, ce ministère a appliqué une autre mesure qui, quoique ponctuelle comme la première, a donné un nouvel élan aux relations Etat-théâtre, à savoir la distribution gratuite de billets de théâtre aux lycéens, par l’intermédiaire des services de la Jeune Génération (j. Ta Nea, 13/02/88, p. 18).

  De plus, le ministère de l’Education Nationale, en collaboration avec le ministère de la Culture, a accordé un certain nombre de subventions aux troupes théâtrales afin qu’elles donnent une série de représentations qui toucheraient un public scolaire, tant au niveau des textes qu’au niveau de la forme de la représentation (r. Theatro, No 26, p.p. 70-75).

   Un autre type d’enseignement, beaucoup plus important cette fois-ci, vise à promouvoir cet art dans  d’ autres couches de la population grâce à la création de chaires de théâtrologie dans les universités grecques et prouve que, même relativement tard, divers autres ministères peuvent également aider le mouvement  théâtral en Grèce (Gargalianos, o.p : 79). Reste encore à créer une école publique universitaire pour la formation d’hommes de théâtre de haut niveau et ainsi se fermera un premier cycle de tentatives d’aides au théâtre de la part du ministère de l’Education Na­tionale qui était le premier à promouvoir le dévelop­pement théâtral en Grèce.

6b. Le Ministère de la Présidence du Conseil.  L’incompatibilité des trois types de culture entre eux (lettres, théâtre, beaux-arts) et avec l’institution étatique qui les a accueilli -le ministère de l’Education Nationale- a été vite comprise par les hommes au pouvoir. Il a fallu néanmoins surmonter pas mal d’obstacles bureaucratiques, pour réussir le transfert de ces compétences au ministère de la Présidence du Conseil, en 1969, au sein d’une Direction Générale des Affaires Culturelles*. Mais, une fois de plus, les administratifs ont choisi un “partenaire” néfaste à l’épanouissement de l’art théâtral.

6c. Le Ministere de la Culture. La précipitation avec laquelle ce ministère a été créé et l’organisation néfaste des premières années ont conduit à pas mal de réflexions sur son existence, telles qu’un grand nombre d’intellectuels de l’époque l’ont considéré comme inutile (r. Theatro, No 64/66, p. 20).

  Il s’agissait, en effet, au début, d’un rassemblement fortuit de services sans homogénéité, qui ont été créés à diverses époques de l’histoire administrative grecque et qui, par conséquent, ne pouvaient pas fonctionner ensemble. De plus, si ce ministère est devenu progressivement le lieu de rassemblement par excellence de toute question administrative, technique ou économique de la culture, il n’est pourtant pas le seul. Une multitude d’autres ministères ou fondations publiques ont attiré, au cours des années, par leur propre initiative, par héritage symbolique ou même par une volonté du pouvoir central, des compétences relatives à la culture.

6d. Le Ministère de l’Economie Nationale. Un autre ministère qui a aidé le théâtre selon un mé­canisme assez particulier, est le ministère de l’Economie Nationale. La particularité tient ici au fait que sous les ordres de ce ministère, se trouve un organisme quasi-artistique, appelé Organisme Grec du Tourisme (E.O.T.), créé en 1929 par la loi 4377 (Voudouris, o.p.: 338).

   Comme presque tous les services ministériels, il a passé lui aussi par des périodes de grands changements pour être finalement placé sous la tutelle du ministère de la Présidence jusqu’en 1985 et de celle de l’Economie Nationale, de 1985 à aujourd’hui (Selon l’article 24 de la loi 1558/85).

  L’Organisme Grec du Tourisme est le service officiel qui organise sur le plan national, un petit nombre de festivals grecs de renommée internationale. Ceci date de 1956 où un service décentralisé de  l’E.O.T., appelé “Commission”, suivant l’acte 1699 du 1-11-1956 du Conseil des Ministres, organisait initialement certaines manifestations artistiques -comme les diverses festivals- et en rendait un rapport annuel au ministère de la Présidence (suivant l’acte 1699 du 1/11/56 du Conseil des Ministres).

     Dans ces festivals participe un grand nombre de troupes théâtrales, subventionnées ou privées, tandis que les deux théâtres nationaux se réservent le droit d’ignorer autant le festival du Lycabète que les autres, moins importantes de l’E.O.T. et de ne jouer qu’aux deux premiers qui sont les mieux subventionnés de la part de cet organisme.

6e. Le Ministere du travail. Il s’agit d’un ministère qui, à travers le Foyer Ouvrier (Ergatiki Estia) -création de 1931- et de la Caisse du Travail des Acteurs -1932- attribue une aide indirecte au théâtre. Celle-ci consiste en l’achat des billets de théâtre auprès des théâtres, puis à leur distribution auprès des ouvriers, formule qui est autorisée depuis 1954 (Article 1.B.b, du décret législatif de 11/06/54).

   Il est étonnant mais indispensable de remarquer ici qu’une mesure de plus en faveur de la culture -et ainsi du théâtre- a été prise à nouveau sous une dictature, cette fois-ci celle de I. Metaxas.

Conclusion

     Malgré le fait que l’art a été un domaine qui a connu un essor considérable en Grèce antique, personne ne peut affirmer que, par la suite, ce même domaine -et plus précisément le théâtre lui-même a été favorisé dans ce pays. En règle générale, les problèmes sociaux, politiques et économiques du pays, depuis les premiers temps historiques jusqu’à la période contemporaine n’ont jamais permis le développement constant de l’art théâtral, en raison précisément de la force spécifique que ce type de problèmes connaît toujours dans ce pays méditerranéen.

   Toutes les décisions et les mesures prises en faveur ou contre le théâtre mentionnées ci-dessus avaient une caractéristique particulière, celle de donner la priorité à la création théâtrale dans la capitale. Ce n’est que tardivement (fin XIXe siècle) qu’a été réalisée la nécessité d’une aide centripète et constante, telle qu’elle donnerait à la périphérie du pays la possibilité de s’épanouir artistiquement, à un niveau presque similaire à celui du centre.

    De cette manière et par rapport au sujet central de cet article, il faut remarquer que le théâtre, depuis les toutes premières représentations de l’antiquité, n’a reçu aucune aide importante de la part des pouvoirs publics. Il a pu survivre grâce au courage et la passion des artistes qui l’aiment et qui ont donné leur vie pour cet art unique, né dans leur propre pays, la Grèce.

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